Monday, November 20, 2006

Pour une approche critique de la notion de "gauche" en France (I).

(1) Après le Serment du Jeu de Paume (20 juin 89), les partisans du roi s'assirent à gauche face à la tribune de l'assemblée (donc à droite de la tribune) et ceux de la nation prirent place à droite, donc "à gauche" de la tribune. On a conservé depuis, avec les glissements progressifs rendus nécessaires par la marche primesautière de notre bonne mère l'Histoire, et, en transposant, hors de l'hémicycle et dans les isoloirs et l'opinion, cette distinction commode à défaut d'être vraiment cohérente.
(2) On a donc, sur un continuum supposé et faussement homogène: (a) extrême-droite (et/ou droite extrême, par faux euphémisme), (b) droite, plus ou moins dure, (c) centre, avec deux ailes, gauche et droite bien sûr, (d) gauche, plus ou moins résolue, (e) extrême-gauche (qui préfère elle aussi s'euphémiser de nos jours en "vraie gauche" ou "gauche de la gauche".
(3) Ce qui correspond et se superpose plus ou moins, et en gros, à différentes époques, à: (a') réactionnaires, qui veulent pour l'essentiel rétablir un état de choses antérieur (réel ou supposé), autrefois c'était l'Ancien Régime, de nos jours c'est l'ultra-libéralisme avec patronat de Droit divin et sans Droit du Travail, (b') conservateurs qui se satisfont du système économique et social en place, ce qui ne signifie pas qu'ils ne veulent pas l'amender du point de vue de sa cohérence interne (au 19ème siècle: tenants de l'Ordre face aux partisans du Mouvement), (c') "le Centre" pas forcément mou, qui se veut une passerelle, mais le malheur veut que cette passerelle garde le plus souvent la position verticale, arrimée à la droite, c'est la place idéale pour les courants démocrates-chrétiens: respect de l'ordre voulu par Dieu et mise en avant d'une "doctrine sociale", en Allemagne de la Belle Epoque le "Zentrum" était le parti catholique, (d') les partisans du Mouvement, du Progrès face au camp de l'Ordre conservateur: au 19ème siècle, républicains, puis républicains radicaux, puis radicaux socialistes, puis socialistes indépendants ("opportunistes"), (e') les tenants d'une transformation révolutionnaire: au début du 19ème les républicains "libéraux" au sens français moderne, à la fin du même siècle les socialistes de la SFIO, les uns se pensant comme en continuité avec la gauche (Jaurès), d'autres ne se voyant qu'en rupture. Tout au long du siècle, qui connut une évolution rapide, les réformateurs devinrent souvent conservateurs, soit du fait de l'âge, soit parce qu'ils avaient obtenu les réformes qu'ils voulaient.
(4) Le vingtième siècle fut long et rude. La belle ordonnance et simplicité du continuum droite-gauche évoquée dans les points précédents fut troublée, d'abord par le bolchevisme, qui exigea la rupture de l'aile marchante et glorieuse du mouvement ouvrier avec la lâche et traîtresse social-démocratie assassine et vendue au capital cosmopolite (et dans une moindre mesure par le fascisme), ensuite par la Chute du Mur et l'exigence de remise à plat de la conception du monde qu'elle a fait surgir (mais la nostalgie est tellement forte...). L'aggiornamento n'est pas chose facile.
(A suivre)

1 Comments:

Blogger Bellzouzou said...

quel puits de sciences, mon vpplv..j'en reste bouche bée.

21/11/06  

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