J’ai cru à une invite à discuter sérieusement, et j’y ai réfléchi le week-end dernier (par intermittences).
Sortie de piège.
Eclat de rire (un peu jaune quand même, comme il convient à un shadock de cette couleur) quand j’ai pris conscience de la farce. Si on regarde le squelette du comm’ royal:
1)La chose en question n’a jamais existé
2)Elle n’est pas bonne pour les capitalistes, qui s’ingénient à la détruire (cette chose qui n’existe pas)
3)Bien que n’existant pas et n’étant pas bonne pour les exploiteurs, elle n’est pas bonne non plus pour les opprimés.
Suit une recette sur le poulet africain farci d’aubergines roumaines sauce aux tomates du terroir, c’est le meilleur du comm’.
On a reconnu tout de suite, si on a l’esprit plus vif que le malheureux troll domestique de Sa Majesté, que Sa Majesté s’amuse à recycler le célèbre argumentaire complet dénonçant le complot « 11/9 twin towers »:
Les tours jumelles n’ont jamais été détruites
Les terroristes ont fort bien fait.
Et puis vous savez, elles ont été détruites par un complot impérialiste-sioniste.
Enfin et surtout, elles n’avaient jamais été construites.
Dérivé lui-même de la fameuse histoire juive:
Ta cruche, je te l’ai rendue intacte.
D’ailleurs elle était déjà cassée.
Et puis tu ne me l’as jamais prêtée.
Enfin elle n’a jamais existé que dans ton imagination.
Bravo, Christine, bien joué, ça m’apprendra à me prendre trop au sérieux.
Une confusion qui n’est pas la mienne.
Reste l’allusion finale aux mythes de la théorie économique.
Le soupçon me vient que bien des gens qui ont voté « non » en 2005 l’ont fait sur la base d’une confusion entre deux notions: celle de « concurrence libre et non faussée » (si vigoureusement dénoncée par les leaders nonistes), et celle de « concurrence pure et parfaite ». Or ça n’a pas grand chose à voir, en dépit des apparences.
La concurrence pure et parfaite est une notion purement théorique, utile au raisonnement des économistes théoriciens, qui sert (plus ou moins efficacement) dans le domaine des modèles théoriques, mais dont personne, à part les ultra-libéraux les plus extrémistes, n’a jamais cru qu’elle pouvait servir à décrire la réalité de la vie économique. C’est un peu comme (je suppose, car je n’y connais rien) la notion de mouvement sans frottement pour les spécialistes de mécanique). Au contraire, les économistes, même très « libéraux », s’attachent à étudier comment dans l’économie de marché la concurrence est soumise à des mouvements qui la contrarient et forment avec elle l’économie concrète.
Je n’ai pas du tout l’intention de critiquer ce « joli mythe » (en effet c’en est un, et il existe comme tous les mythes et remplit comme eux sa fonction sociale de mythe). Mais la concurrence libre et non faussée, c’est une toute autre chose, un principe de gouvernance économique, qui n’a rien à voir, et qui suppose au contraire l’intervention active des pouvoirs publics.
Un os à ronger.
Je commençais à désespérer de pouvoir expliquer sérieusement ma pensée tout en me dépêtrant d’une plaisanterie, quand dans sa magnanimité Sa Majesté a daigné jeter un os à ronger à son animal de compagnie, qui lui en est on ne peut plus reconnaissant. Cet os, c’est ceci (autre commentaire de chez Swâmi):
The freer the market the freer the people.
Là, c’est beaucoup plus sérieux. (Il s’agit, si j’ai bien compris, d’un item dans un questionnaire qui permet aux gens de se situer dans un champ de positions politiques, nous ne dirons pas un échiquier, car il n’a que quatre cases). On peut traduire: tant plus qu’on lâchera les baskets au marché, tant plus que les gens ils seront libres comme l’air. Et Christine me le « dédicace » dans l’espoir que je vais réagir en jappant de contentement, comme les corgis de la reine d’Angleterre quand le bon plaisir royal est de les choyer. Et si fais-je en effet, cela me permet d’insister sur plusieurs points que je n’ai fait qu’effleurer dans mon billet précédent.
Quand on dit: « le Marché », on désigne en fait l’ensemble des marchés, très nombreux, et plus ou moins interdépendants les uns des autres, qui régulent la vie économique (un marché par type de marchandises échangée et par zone d’échange… cela fait beaucoup); et les « people », c’est les gens, acteurs de la vie économique, mais aussi sociale et politique, le public et même le Peuple.
Pour un marché particulier, concernant une marchandise dans une zone, people désigne les intervenants, à savoir les offreurs, porteurs d’une offre rentable, et les demandeurs, porteurs d’une demande solvable, dans cette zone et pour cette marchandise.
La formule en ce cas est une évidence, et même une tautologie: plus la rencontre des offreurs et demandeurs est libre et plus les offreurs et demandeurs sont libres de se rencontrer (plus ils ont le choix et plus ils ont le choix: La Palisse Prix Nobel !).
NB. Avec une très grosse réserve quant à la portée de la chose en matière de « marché du travail »: la liberté des demandeurs d’emploi (ou offreurs de force de travail) est réelle (les esclaves et les serfs ne l’ont pas) mais « le marché du travail » (en fait une grande quantité de marchés interdépendants ) est vraiment très particulier, cf les analyses de Marx; et même remarque (d’un sens tout différent) en ce qui concerne les marchés financiers, à l’autre extrémité du système.
Mais il s’agit là de la « liberté économique », cela ne préjuge pas que l’éventuel manque de liberté sur le plan social, culturel, politique, disparaît spontanément. Disons seulement que, ceteris paribus (c’est la précaution oratoire des économistes: toutes choses égales par ailleurs ) on a plus de chances d’accéder à la liberté générale quand la tendance est à la liberté économique (oui, je sais, ça se discute; mais justement, on peut au moins en discuter en toute liberté dans les pays d’économie de marché, ce n‘est pas le cas ailleurs…).
A mon avis, la liberté des marchés n’entraîne pas (ne suffit pas à entraîner) la liberté pure et simple des gens et du Peuple. « Liberté » est, comme « utilité » , un mot qui dans le vocabulaire économique prend un sens particulier. Je citerais bien Lammenais si je ne craignais de faire de la peine à Christine qui n’aime les curés que dans son assiette, servis avec des aubergines roumaines: entre le faible et le fort, c’est la liberté qui opprime et la loi qui protège.
Pour les ultra-libéraux, c’est la liberté des marchés qui fait la liberté des gens, il n’y a pas d’autre usage de la liberté que l’adoration du marché: « accumulez, accumulez, c’est la loi et les prophètes ! » (Marx).
Pour les partisans du capitalisme d’Etat (ou communisme autoritaire), il n’y a plus de marché libre, il n’y a bientôt plus beaucoup de production, encore moins de liberté. Asphyxier le marché, c’est asservir et opprimer le peuple. Des contre-exemples ?
Pour les shadoks jaunes puants dans mon genre: c’est la liberté des gens qui importe, elle passe en grande partie par la liberté (de produire) des marchés, mais ceux-ci doivent être domestiqués, civilisés, ramenés à la concurrence que les effets de domination tendent à fausser et à aliéner. C’est aux pouvoirs publics qu’il appartient d’assurer aux demandeurs la liberté de choix d’offreurs réellement mis en concurrence loyale, et d’assurer la liberté d’entreprendre des différents concurrents, ce afin que l’allocation des ressources soit optimisée et le développement durable préservé.(En d’autres termes, de défendre l’intérêt général).
Mais voilà que j’essaie encore de dire trop de choses en une seule phrase. Salut au lecteur bénévole. Qu’il se réveille, j’en ai fini (pour cette fois).
Additif de jeudi (réponse au commentaire 1 ci-dessous de Ga(ï)elle)
J’ignore si Christine approuvera ta refonte de son commentaire. Pour moi:
Ton 1). C’est très exactement ce que MOI je pense. Tu remplaces « les gros » par « le capitalisme financier », et je signe des deux mains.
Ton 2). Ceux qui disent, etc., sont les ultra-libéraux. Je ne partage pas du tout, du tout, leur opinion. Les traiter de « gros hypocrites pleins de mauvaise foi » n’apporte rien sur le plan théorique, maintenant si ça peut soulager… Deux bémols:
A) Je ne défends pas « l’Etat » national (je suppose que Christine non plus, pour d’autres raisons), mais « les pouvoirs publics » aux différents niveaux. Je crois qu’ils ont un rôle important à jouer pour maintenir la concurrence libre et non faussée.
B) Encore faut-il que cette intervention des pouvoirs publics soit pertinente et conforme à l’intérêt général à long terme; ce n’est pas parce qu’on admet et souhaite leur intervention qu’on doit approuver tout ce qu’ils font.
Ton 3). « N’est pas souhaitable ». Là je me demande bien pourquoi. Les vraiment petits soit ne sont pas dotés du tout en moyens de production (même pas en force de travail) et ils relèvent, sous tout régime, de l’assistance non-marchande, plus ou moins généreuse. Soit ils ont de quoi commencer à se prendre en charge, et le coup de pouce que leur donneront les pouvoirs publics (allocations de démarrage, d’attente, de soutien, micro-crédits, etc.) ne fausse en rien la concurrence et bien au contraire la stimule, si la règle du jeu c’est l’égalité des chances.
Ton 4). Là c’est un peu ambigu, on peut en faire au moins deux lectures, dont une que j'ai tendance à approuver.
La suite de ton comm’: « Dans ce cas il suffit… tout le monde d’accord ». Non. La « concurrence pure et parfaite » est une pure invention de l’esprit (utile pour le raisonnement des économistes) et c’est tout. Tu peux t’amuser à la rejeter comme un chat à agresser son ombre, mais c’était limite malhonnête de faire voter le peuple contre la c.l & non f à cause du fantôme de la c.p.p. qui n’a rien à voir.
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