Opinions diversement congrues de Melchior Griset-L

Sunday, January 27, 2008

La Parole au pape.





Il se murmure dans les milieux bien informés que ma prose n’est pas limpide (un peu plus claire que les vers souvent hermétiques de Griffollet, mais ce n’est pas une référence).

C’est pourquoi je me résous à laisser la parole à Benoa (convenablement muni de son choli tentier chabonais andi-agzent deudon) pour qu’il résume le fond de ma pensée, qui doit lui être familière puisqu’il prétend écrire un Melchior pour les nuls en dix-sept volumes. A toi, brave pape.

Ahem.

Melchior estime qu’il y a trois voies pour le devenir terrestre de l’espèce humaine:

1) Le tout-marché, voie ultra-libérale. L’économie de marché est pilotée par la dictature économique, voire culturelle, du capitalisme financier, et c’est très bien comme ça.

2) Le grand-soir, voie « de gauche » traditionnelle (pure pure dure dure). On abolit l’économie de marché en même temps que la dictature financière, on remet l’administration des choses à (hum, ici plusieurs variantes et des tas de petites difficultés rigolotes). Et les lendemains chanteront.

3) La voie social-démocrate moderne, intégrant la perspective écologiste. « Droite » pour Swâmi, « gauche innovatrice, de transformation sociale » pour Melchior. On garde l’économie de marché comme moteur (inégalable), on la domestique en ôtant sa direction des mains du capitalisme financier, et surtout on conserve, en améliorant son fonctionnement, la démocratie libérale pluraliste.

A chacun de voir la route qu’il souhaite voir suivre à la société.

Amen.

Merci Benoa, cela me paraît assez clair (et court, surtout; on voit que tu es pressé d’aller à tes exercices spirituels).
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Wednesday, January 23, 2008

Melchior piégé.

(honte à lui, hou hou !)

Le piège.

Je n’ai pas toujours de chance avec les têtes couronnées. Autant le roi des Belges avait apprécié mes bons conseils sur l’acclimatation de la Constitution bolivienne au Royaume de Belgique, autant la reine Christine me poursuit de sa vindicte.

Je crois que cela date du jour où j’ai négligé sa question sur le positionnement du PS sur l’échiquier politique. Ne sachant pas ce qu’est un échiquier politique, et bien conscient que sur un échiquier ordinaire la gauche d’un camp est la droite de l’autre et vice-versa, et qu’au surplus droite et gauche n’ont pas de sens politique en matière échiquéenne, j’ai conclu que je ne comprenais pas la question, que j’ai donc laissée sans réponse (« si ti sabir ti respondir, si non sabir tazir, tazir »). Crime de lèse-majesté. Depuis, la reine m’en veut.

Elle a eu des mots assez durs pour moi, chez Laflote comme chez Swâmi.

C’est justement chez Swâmi qu’elle vient de me faire une farce royale; et je suis tombé dans le panneau comme un niais. Voici son comm’:

D'abord ça ne peut pas exister la concurrence libre et non faussée. C'est un mythe des économistes défendant le capitalisme, et sous le capitalisme, le souci de chaque gros est de devenir hégémonique, et donc de détourner les règles, éventuellement en s'alliant avec ses "libres concurrents". Faut pas confondre les discours sur le capitalisme et les pratiques des capitalistes. Ne me réponds pas la classique réponse selon laquelle on peut pas voir comme c'est chouette la concurrence libre et non faussée et le fonctionnement libre du marché du travail parce que l'État y fait rien que de s'en mêler, c'est une réponse qui prend trop les gens pour des imbéciles.
Et pour les pas gros, c'est tout sauf souhaitable, le concurrence libre et non faussée. La concurrence entre l'éleveur africain qui produit ses poulets à la main, et le producteur européen qui les engraisse en batterie, la concurrence libre entre la tomate d'Espagne qui n'a jamais vu ni le soleil ni la terre et la tomate bio du paysan d'à côté, la concurrence libre entre les aubergines bio pas belles et très bonnes de Roumanie et les aubergines calibrées et luisantes produites en mode industriel....
La théorie économique est pleine de jolis mythes qui ne résistent pas une seconde à l'examen, tu ne devrais pas exercer ton esprit critique seulement sur les écrits de Swâmi .

J’ai cru à une invite à discuter sérieusement, et j’y ai réfléchi le week-end dernier (par intermittences).

Sortie de piège.

Eclat de rire (un peu jaune quand même, comme il convient à un shadock de cette couleur) quand j’ai pris conscience de la farce. Si on regarde le squelette du comm’ royal:
1)La chose en question n’a jamais existé
2)Elle n’est pas bonne pour les capitalistes, qui s’ingénient à la détruire (cette chose qui n’existe pas)
3)Bien que n’existant pas et n’étant pas bonne pour les exploiteurs, elle n’est pas bonne non plus pour les opprimés.

Suit une recette sur le poulet africain farci d’aubergines roumaines sauce aux tomates du terroir, c’est le meilleur du comm’.

On a reconnu tout de suite, si on a l’esprit plus vif que le malheureux troll domestique de Sa Majesté, que Sa Majesté s’amuse à recycler le célèbre argumentaire complet dénonçant le complot « 11/9 twin towers »:
Les tours jumelles n’ont jamais été détruites
Les terroristes ont fort bien fait.
Et puis vous savez, elles ont été détruites par un complot impérialiste-sioniste.
Enfin et surtout, elles n’avaient jamais été construites.

Dérivé lui-même de la fameuse histoire juive:
Ta cruche, je te l’ai rendue intacte.
D’ailleurs elle était déjà cassée.
Et puis tu ne me l’as jamais prêtée.
Enfin elle n’a jamais existé que dans ton imagination.

Bravo, Christine, bien joué, ça m’apprendra à me prendre trop au sérieux.

Une confusion qui n’est pas la mienne.

Reste l’allusion finale aux mythes de la théorie économique.

Le soupçon me vient que bien des gens qui ont voté « non » en 2005 l’ont fait sur la base d’une confusion entre deux notions: celle de « concurrence libre et non faussée » (si vigoureusement dénoncée par les leaders nonistes), et celle de « concurrence pure et parfaite ». Or ça n’a pas grand chose à voir, en dépit des apparences.

La concurrence pure et parfaite est une notion purement théorique, utile au raisonnement des économistes théoriciens, qui sert (plus ou moins efficacement) dans le domaine des modèles théoriques, mais dont personne, à part les ultra-libéraux les plus extrémistes, n’a jamais cru qu’elle pouvait servir à décrire la réalité de la vie économique. C’est un peu comme (je suppose, car je n’y connais rien) la notion de mouvement sans frottement pour les spécialistes de mécanique). Au contraire, les économistes, même très « libéraux », s’attachent à étudier comment dans l’économie de marché la concurrence est soumise à des mouvements qui la contrarient et forment avec elle l’économie concrète.

Je n’ai pas du tout l’intention de critiquer ce « joli mythe » (en effet c’en est un, et il existe comme tous les mythes et remplit comme eux sa fonction sociale de mythe). Mais la concurrence libre et non faussée, c’est une toute autre chose, un principe de gouvernance économique, qui n’a rien à voir, et qui suppose au contraire l’intervention active des pouvoirs publics.

Un os à ronger.

Je commençais à désespérer de pouvoir expliquer sérieusement ma pensée tout en me dépêtrant d’une plaisanterie, quand dans sa magnanimité Sa Majesté a daigné jeter un os à ronger à son animal de compagnie, qui lui en est on ne peut plus reconnaissant. Cet os, c’est ceci (autre commentaire de chez Swâmi):

The freer the market the freer the people.

Là, c’est beaucoup plus sérieux. (Il s’agit, si j’ai bien compris, d’un item dans un questionnaire qui permet aux gens de se situer dans un champ de positions politiques, nous ne dirons pas un échiquier, car il n’a que quatre cases). On peut traduire: tant plus qu’on lâchera les baskets au marché, tant plus que les gens ils seront libres comme l’air. Et Christine me le « dédicace » dans l’espoir que je vais réagir en jappant de contentement, comme les corgis de la reine d’Angleterre quand le bon plaisir royal est de les choyer. Et si fais-je en effet, cela me permet d’insister sur plusieurs points que je n’ai fait qu’effleurer dans mon billet précédent.

Quand on dit: « le Marché », on désigne en fait l’ensemble des marchés, très nombreux, et plus ou moins interdépendants les uns des autres, qui régulent la vie économique (un marché par type de marchandises échangée et par zone d’échange… cela fait beaucoup); et les « people », c’est les gens, acteurs de la vie économique, mais aussi sociale et politique, le public et même le Peuple.

Pour un marché particulier, concernant une marchandise dans une zone, people désigne les intervenants, à savoir les offreurs, porteurs d’une offre rentable, et les demandeurs, porteurs d’une demande solvable, dans cette zone et pour cette marchandise.

La formule en ce cas est une évidence, et même une tautologie: plus la rencontre des offreurs et demandeurs est libre et plus les offreurs et demandeurs sont libres de se rencontrer (plus ils ont le choix et plus ils ont le choix: La Palisse Prix Nobel !).

NB. Avec une très grosse réserve quant à la portée de la chose en matière de « marché du travail »: la liberté des demandeurs d’emploi (ou offreurs de force de travail) est réelle (les esclaves et les serfs ne l’ont pas) mais « le marché du travail » (en fait une grande quantité de marchés interdépendants ) est vraiment très particulier, cf les analyses de Marx; et même remarque (d’un sens tout différent) en ce qui concerne les marchés financiers, à l’autre extrémité du système.

Mais il s’agit là de la « liberté économique », cela ne préjuge pas que l’éventuel manque de liberté sur le plan social, culturel, politique, disparaît spontanément. Disons seulement que, ceteris paribus (c’est la précaution oratoire des économistes: toutes choses égales par ailleurs ) on a plus de chances d’accéder à la liberté générale quand la tendance est à la liberté économique (oui, je sais, ça se discute; mais justement, on peut au moins en discuter en toute liberté dans les pays d’économie de marché, ce n‘est pas le cas ailleurs…).

A mon avis, la liberté des marchés n’entraîne pas (ne suffit pas à entraîner) la liberté pure et simple des gens et du Peuple. « Liberté » est, comme « utilité » , un mot qui dans le vocabulaire économique prend un sens particulier. Je citerais bien Lammenais si je ne craignais de faire de la peine à Christine qui n’aime les curés que dans son assiette, servis avec des aubergines roumaines: entre le faible et le fort, c’est la liberté qui opprime et la loi qui protège.

Pour les ultra-libéraux, c’est la liberté des marchés qui fait la liberté des gens, il n’y a pas d’autre usage de la liberté que l’adoration du marché: « accumulez, accumulez, c’est la loi et les prophètes ! » (Marx).

Pour les partisans du capitalisme d’Etat (ou communisme autoritaire), il n’y a plus de marché libre, il n’y a bientôt plus beaucoup de production, encore moins de liberté. Asphyxier le marché, c’est asservir et opprimer le peuple. Des contre-exemples ?

Pour les shadoks jaunes puants dans mon genre: c’est la liberté des gens qui importe, elle passe en grande partie par la liberté (de produire) des marchés, mais ceux-ci doivent être domestiqués, civilisés, ramenés à la concurrence que les effets de domination tendent à fausser et à aliéner. C’est aux pouvoirs publics qu’il appartient d’assurer aux demandeurs la liberté de choix d’offreurs réellement mis en concurrence loyale, et d’assurer la liberté d’entreprendre des différents concurrents, ce afin que l’allocation des ressources soit optimisée et le développement durable préservé.(En d’autres termes, de défendre l’intérêt général).
Mais voilà que j’essaie encore de dire trop de choses en une seule phrase. Salut au lecteur bénévole. Qu’il se réveille, j’en ai fini (pour cette fois).
Additif de jeudi (réponse au commentaire 1 ci-dessous de Ga(ï)elle)

J’ignore si Christine approuvera ta refonte de son commentaire. Pour moi:

Ton 1). C’est très exactement ce que MOI je pense. Tu remplaces « les gros » par « le capitalisme financier », et je signe des deux mains.

Ton 2). Ceux qui disent, etc., sont les ultra-libéraux. Je ne partage pas du tout, du tout, leur opinion. Les traiter de « gros hypocrites pleins de mauvaise foi » n’apporte rien sur le plan théorique, maintenant si ça peut soulager… Deux bémols:
A) Je ne défends pas « l’Etat » national (je suppose que Christine non plus, pour d’autres raisons), mais « les pouvoirs publics » aux différents niveaux. Je crois qu’ils ont un rôle important à jouer pour maintenir la concurrence libre et non faussée.
B) Encore faut-il que cette intervention des pouvoirs publics soit pertinente et conforme à l’intérêt général à long terme; ce n’est pas parce qu’on admet et souhaite leur intervention qu’on doit approuver tout ce qu’ils font.

Ton 3). « N’est pas souhaitable ». Là je me demande bien pourquoi. Les vraiment petits soit ne sont pas dotés du tout en moyens de production (même pas en force de travail) et ils relèvent, sous tout régime, de l’assistance non-marchande, plus ou moins généreuse. Soit ils ont de quoi commencer à se prendre en charge, et le coup de pouce que leur donneront les pouvoirs publics (allocations de démarrage, d’attente, de soutien, micro-crédits, etc.) ne fausse en rien la concurrence et bien au contraire la stimule, si la règle du jeu c’est l’égalité des chances.

Ton 4). Là c’est un peu ambigu, on peut en faire au moins deux lectures, dont une que j'ai tendance à approuver.

La suite de ton comm’: « Dans ce cas il suffit… tout le monde d’accord ». Non. La « concurrence pure et parfaite » est une pure invention de l’esprit (utile pour le raisonnement des économistes) et c’est tout. Tu peux t’amuser à la rejeter comme un chat à agresser son ombre, mais c’était limite malhonnête de faire voter le peuple contre la c.l & non f à cause du fantôme de la c.p.p. qui n’a rien à voir.



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Saturday, January 19, 2008

Utilité économique et utilité sociale.

L’un des gros problèmes des utilisateurs de l’économie politique, c’est que les mots sont empruntés à la langue courante, mais pris dans un sens souvent différent. Ainsi « utilité» et ses dérivés.

Sans porter aucun jugement de valeur, les mines anti-personnel sont « utiles », au sens économique: elles ont une valeur d’usage, les gens qui en ont besoin ne les fabriquent pas eux-mêmes mais les trouvent sur un marché, elles ont donc une valeur d’échange, et les gens qui les fabriquent font un travail « utile », économiquement parlant; cela ne veut pas dire qu’elles sont socialement, moralement ou politiquement utiles (il se trouve que les Finlandais, peuple et gouvernement parmi les plus évolués et pacifiques, sont de cet avis pourtant; comme quoi…) ni que Handicap International ait tort de faire campagne pour leur interdiction.

Inversement, des recherches sur les énergies renouvelables ont longtemps été « inutiles », car ne répondant à aucune demande solvable; c’est en train de changer.

Devant cette discordance entre la pente naturelle de l’économie de marché et du capitalisme financier qui la chapeaute et la chaperonne aujourd’hui, et des besoins humains non satisfaits tels qu’ils sont exprimés plus ou moins véhémentement, trois attitudes sont possibles (en gros et en négligeant les sous-variétés):

- soit on « laisse courir », on s’en remet au marché pour résoudre spontanément les difficultés (si le système a besoin de rustines, il se crée un marché de la rustine).

- soit on rejette en bloc l’économie de marché, on met aux commeandes l’utilité sociale (et vite morale, politique, puis philosophico-religieuse) telle que la conçoit un bureau politique flanqué d’organismes de planification.

- soit on s’en remet à l’Etat démocratique épaulé par la conscience citoyenne pour prendre les mesures propres à vider, assécher, évacuer l’utilité économique des biens politiquement nuisibles et à créer ou soutenir, artificiellement, l’utilité des biens économiquement inutiles mais socialement utiles.

C’est cette troisième voie que j’appelle « cultiver son jardin » (jardin planétaire: il faut une concertation internationale): substituer à l’économie de marché sauvage l’économie de marché domestiquée (pourquoi se priver d’un moteur extrêmement puissant ? Mais il faut le contrôler par des freins et une direction).


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Thursday, January 17, 2008

Quoi, nous n’irions pas tous au paradis ?

(Sur une question de Ga(ï)elle, suite)


"D’un côté la vérité, et de l’autre le mensonge; au milieu, les bras croisés,
Chiffonnet calme et serein ».
Eugène Labiche
Le Misanthrope et l’Auvergnat




Mon modeste essai de réexamen des notions de droite et de gauche en
politique a provoqué un petit coup de vent chez Swâmi, qui s’est senti en veine de fournir ses propres définitions, en deux volets genre retable médiéval: d’un côté la paradis, de l’autre l’enfer (pas de purgatoire, notion trop récente et mercantile). D’un côté la gauche, de l’autre la droite, dans un « toujours-déjà-donné » structuraliste, althussérien dirais-je si ce terme était compréhensible aux moins de trente ans qui ne jurent plus que par Ba*diou. N’empêche, c’était très beau et émouvant comme de l’Agrippa d’Aubigné:

« Crier contre l’enfer ? De l’enfer il ne sort
Que l’éternelle soif de l’impossible mort. »


(traduction: produire plus, consommer plus, accumuler plus, et se retrouver désespéré).

En résumé: la gauche c’est le communisme théorique (au passage l’auteur fait son coming out: « ben oui les copains je suis comme qui dirait devenu communiste à l’insu de mon plein gré » (honnêtement, qu’est-ce que j’en peux savoir, pauvre « shadock jaune » que je suis ? Voyez son texte et faites vous une opinion).

Qui n’adhère pas à cette « gauche »-là ne saurait être dit de gauche, car c’est LA gauche, la seule, la vraie, et donc qui n’adhère pas est sommé de se reconnaître dans le portrait que Swâmi fait de la droite et de la droite (comme le diable, elle a le don d’ubiquité, droite classique et droite au sens swâmiesque, mais c’est la même en essence): soumission aux possédants et à leur pouvoir maléfique, soutenu par les religions. Devra-t-il, celui qui n’adhère pas à la « gauche » swâmiesque, un jour faire son autocritique avant d’aller peupler les camps de rééducation ?

Je ne me reconnais pas dans la droite. Je me suis senti visé - je l’étais explicitement - mais pas atteint. Et j’ai admiré, comme tout le monde, les belles images du tableau, quoique un peu déconcerté par l’inversion des couleurs: le paradis est donné d’ordinaire en vert pâturage et l’enfer en rougeâtre; là les capitalistes sont en verdâtre cupide et leurs suppôts en jaune, et le bonheur à venir est rouge éclatant.

Et il faut que Swâmi comprenne une chose: la distinction droite/gauche, qui a changé d’axe plusieurs fois avant de venir jusqu’à nous et qui restera utile encore un bon bout de temps, n’existe que depuis environ 220 ans, et cette invention a beau être française, cocorico et toussa toussa, rien ne garantit qu’elle sera opératoire ad vitam aeternam. Comme disait Charles le Téméraire(*): tout ce qui naît mérite de périr.

Mais revenons un instant sur l’accès au paradis swâmiesque: un, il nécessitera des bains de sang auxquels il faut se résigner, deux, on procèdera à un grand et radical (et définitif) partage des richesses, enfin trois, l’Etat devra être assez puissant pour veiller à maintenir les gens dans le droit chemin de la vertu civique. Est-ce que cela ne rappelle vraiment rien à personne ? Il ne manque que la référence à l’Etre suprême, mais Swâmi aura peut-être la révélation lors d’un prochain pèlerinage à Versailles.

Quelle que soit l’intention généreuse incontestable des porteurs initiaux de ces idées et de celui qui les reprend aujourd’hui, cette façon de reprendre (même pas de recycler, mais de reprendre en l’état ) des vieilleries bien antérieures en fait à 1789, car ces idées-là inspiraient déjà la révolte des paysans en Allemagne du temps de Luther (Thomas Münzer, etc.), cette façon de servir toutes crues des idées traditionnelles sans chercher même à les adapter au monde contemporain (sauf sur un point: la constatation que l’insurrection devrait être mondiale): c’est (à mon avis) ce qui caractérise une posture intellectuelle et politique de droite.

Des faucon yaka radicaux en apparence mais qui n’ont rien de novateur: c’est le bon vieux messianisme, que les gens de 89 croyaient avoir dépassé en même temps que sa niche écologique, l’Ancien régime, qui ressurgit. .Et c’est bien de religion qu’il s’agit, même s’il manque un vieillard barbu et des angelots qui jouent du Bach pour la rendre plus aimable.

J’en reviens à ma marotte: quand on se pare des vieux oripeaux (**), quand on se satisfait des traditions, fussent-elles « révolutionnaires » ou « de résistance », sans innover, on a un comportement de droite; personne n’en est exempt, c’est évident, de même que tout le monde peut dire une bêtise, mais c’est peu acceptable de gens qui se prétendent « de gauche », et même de la seule gauche qui vaille.

On est de gauche quand on s’applique à trouver ou à propager des solutions concrètes aux problèmes, pour faire avancer la société (terme commode) vers les idéaux de la gauche.(***) Sur l’énoncé de ces idéaux (qui doivent beaucoup aux monothéismes, au fait), on peut rejoindre largement Swâmi, encore que sa lecture de 1789 me semble un peu bien restrictive, mais c’est un autre débat.

PS. Pour répondre à Aramis, comm’ n°44 chez Swâmi: pour les auteurs de la DDHC, il ne fait aucun doute qu’ils étaient « de gauche » au sens de l’époque, et j’estime que les principes qu’ils ont énoncés sont suffisamment universels pour être repris intégralement (même la propriété privée…) par la gauche moderne.

(*) ou son ancêtre Jehan II dit le Bon, l’inventeur du franc que certains regrettent encore…

(**) autrement que dans une intention de carnaval; là ce serait autre chose, mais nos sans-culottes me paraissent diablement empreints d’esprit de sérieux…

(***) à cet égard, le commentaire de Manu chez Swâmi sur le O dans le symbole anarchiste, donne à penser que l’ « ordre juste » dont certains firent des gorges chaudes ne signait pas la dérive droitière qu’on a prétendu.

Tuesday, January 15, 2008

Sur la culture et les mauvaises herbes

(quelques remarques, en vrac)

Je numérote les paragraphes, pour faciliter les références des objections et remarques, qui sont les bienvenues.

1) Ga(i)elle souhaitait ici à la fin de l’année dernière une croissance des idées de gauche au détriment des idées de droite; ce sur quoi je suis bien d’accord. Mais cela pose trois problèmes:
(a) la distinction entre droite et gauche, problème vite irritant,
(b) l’émergence , la « venue au monde », des idées,
(c) comment les idées se répandent.

2) Ces trois choses sont liées entre elles ( Si on définit la droite comme accrochée aux traditions, des idées de droite peuvent-elles émerger ? Et n’y a-t-il pas un rapport étroit entre les conditions d’émergence des idées et les conditions de leur expansion ? Etc.). Il est néanmoins préférable de les distinguer pour la clarté de l’analyse, quitte à revenir sur les interactions.

Mes éléments de réponse sur le premier point:

3) Il y a pollution du débat sur la distinction entre droite et gauche par la distinction entre bien et mal (voire entre branché et ringard…). Pour l’homme de droite, la droite est le bien, la gauche est le mal, pour l’homme de gauche c’est l’inverse, et l’un comme l’autre a tendance à penser, de bonne foi, que l’adversaire, même personnellement honnête, est, lui (forcément et intrinsèquement), de mauvaise foi, puisque habité par l’Erreur aux pieds fourchus.

4) Très longtemps (depuis 1789) il y a eu glissement continu (s’accélérant à certaines périodes) entre droite et gauche, la position qui semblait « à gauche » étant dépassée par une position plus radicale qui elle-même, etc. (Sarkozy, transporté en 1790, siègerait nettement à gauche, et Robespierre, amené en 2008, serait dans la droite dure). Cela s’est combiné (de façon à mon avis malencontreuse) avec la question de la « collectivisation » et de la mise à bas de la « société libérale pluraliste ».

5) Je propose pour ma part d’appeler « de droite » l’idée qui ne fait que rattacher son porteur à la tradition (même « révolutionnaire »). Pour être un peu provocateur, je dirai que toute idée de convocation d’Etats Généraux, de réunions de Grenelle en vue d’accords de Matignon ou de remake de la Prise de la Bastille est plutôt « de droite ». Est « de gauche » toute idée qui tend à l’innovation dans le sens de rapports sociaux durablement plus harmonieux. (Toujours pour provoquer: le slogan d’ « ordre juste » me paraît fondamentalement de gauche, et j’y adhère complètement).

6) Il n’y a pas symétrie, la pente tire vers la droite, il est toujours plus facile de s’en remettre à la tradition. Etre de gauche, c’est plus dur, car il faut un effort de créativité et d’innovation. A cause de l’effort nécessaire, il n’y a pas tellement d’offreurs. En fonction de la loi de l’offre et de la demande, cela garantit-il un bon prix ? Pas pour autant, car il n’y a pas tellement de demandeurs non plus… Il est tellement plus facile de se raccrocher aux vieilles branches et lorgner vers les vieilles lunes.

7) (NB. Tout dépend du point de vue: je peux moi-même facilement être catalogué « de droite » par les gens qui considèrent que je veux recycler des vieilleries genre Condorcet, Stuart Mill et Keynes. Je m’expose à me faire rétorquer: comme c’est vieux tout ça, alors qu’on a Mao, Badiou…).

8) Sur la manière - deuxième point -dont les idées en général (et les idées de gauche en particulier) surgissent, je préfère faire prudemment l’impasse, indiquant juste une référence, l’un des derniers volumes de La Méthode d’Edgar Morin: La connaissance de la connaissance.

9) Je ne risque tout de même pas grand chose en avançant qu’elles apparaissent lors du choc entre les valeurs héritées et l’expérience pratique, en ce que leur surgissement permet de surmonter les contradictions qui naissent de ce choc (ce que je dis là est tellement général que ça ne peut pas être réfuté, ce qui n’est pas précisément une qualité).
Mais quittons ce terrain, j’entends déjà la glace qui craque sous mes pas.


10) Troisième point: comment les idées se propagent-elles ?
C’est-à-dire surtout: comment franchissent-elles l’obstacle de la résistance au changement mental ? Je dois me contenter d’indiquer quelques pistes.

11) Petit historique:
Le prosélytisme religieux d’autrefois, les armes à la main: tu te convertis ou tu meurs
L’agit-prop des vieux marxistes
Le Programme de Transition des trotskystes -1938 - (ou la révolution permanente sous les crânes).
La psycho-sociologie (étude de la résistance au changement, marketing…)
(liste non exhaustive, et chaque étape mériterait un gros chapitre)

12) Une discipline nouvelle, la mémétique, en plein développement (à vos moteurs de recherche !), veut rendre compte de la dissémination des idées, un peu sur le modèle viral.(Une idée n’est pas autre chose qu’un proto-système qui cherche sa niche d’épanouissement et de reproduction).

« Sachons que le temps d’incubation d’une idée est d’autant plus long qu’elle est « juste », et qu’il ne faut pas faire la fine bouche le jour où elle s’impose à tous, où elle contamine de façon désordonnée toute une société. »
Thierry Paquot
Petit manifeste pour une écologie existentielle
(Bourin éditeur, mars 2007, 14€)